Soirée marchandage

Il est 21h et j'entre dans le bar, comme prévu. Je m'installe au bar en faisant signe à Denis. Je commande une vodka et j'attends que Denis ouvre la bal. La patiente est la plus grande qualité de l'homme ambitieux, mieux, c'est sa meilleure alliée. Je scrute la salle, qui est pleine à craquer. L'adrénaline me fait frissonner. Je respire et remets mon rythme cardiaque en place. Le calme est la deuxième qualité de l'homme ambitieux.

Je fais un signe de tête à Lev pour lui signifier que je l'ai bien vu mais que notre homme n'est pas encore arrivé. Je lui sers sa vodka sans dire un mot et continue mon travail sereinement. Il viendra, j'en suis certain.

C'est vers 21h30 que je vis la porte s'ouvrir sur notre homme :



Cette fois je refais signe à Lev pour lui dire d'approcher pour lui demander quelque chose avant que nous ne nous en occupions.

- Dis moi, ca te va si on fasse sortir tout le monde? Qu'il ne reste plus que lui?

Je hoche la tête:

-Tu veux qu'on fasse ça discrètement ou qu'on lui mette la pression en évacuant à grands cris?

J'avoue que je ne suis pas un garçon subtile, la méthode intimidation me convient mieux. Mais c'est le bar de Denis, c'est à lui de décider. Je jauge notre homme : un faible, un cul-terreux embourgeoisé. Ca sera un jeu d'enfant de le faire craquer. Je souris: le théâtre est à nous, et lui, il ne le sait pas encore.

- Non, je veux faire ca discrètement, qu'il se sente isolé surtout. Qu'il se sente piégé. Et qu'il n'y ait pas de témoin.

Je m'éloigne un peu de Lev et annonce.

- Ce soir, le gérant du théâtre, Monsieur Boleslav Benisov est mon invité. Je tiens à pouvoir m'entretenir un peu avec lui en privé. Le bar va donc fermer pendant une heure. Vous pouvez revenir après.

Je fais signe à Lev de me suivre.

- Va attendre dans la réserve. Qu'il se croit seul avec moi et qu'il ne croit pas au guet-apens. Guet-apens que nous sommes bel et bien en train de lui tendre.

J'acquiesce et me dirige discrètement vers la réserve. Je ferme à demi la porte, pour entendre ce qu'il se passe en salle. Les clients quittent le bar, et finalement je n'entends plus qu'une toux gênée. A l'affût, je tends l'oreille.

Je ferme la porte à clef et me retourne vers l'invité en souriant.

- Mon petit mollusque, nous devons te parler d'une affaire que nous envisageons de conclure avec toi.
- Vous?
-Oui, bien sur, j'oubliais. Lev et moi même. Tu ne le connais pas encore mais ca ne serait tardé.

J'attends que Lev sorte de la réserve pour qu'on puis enfin entamer les négociations.

A cet instant, je sors de la réserve et me pose devant le petit bonhomme à l'air éberlué:

-Bonjour. Lev Dmitrov. Effectivement, nous avons une affaire à traiter avec vous. Et le plus vite sera le mieux.

Je m'installe à côté de lui, et il recule d'un bond. Je souris:

-Vous ne risquez rien avec moi. Mais voilà, j'ai juste un défaut: je ne supporte pas les gens idiots. Alors si vous ne faites pas preuve d'idiotie dans cette histoire, tout devrait bien se terminer.

Je me retourne vers Denis, pour qu'il enchaîne.

J'aime bien Lev, le discours d'entrée est plutôt soft, c'est toujours bien. Mais maintenant, je vais attaquer le sujet.

- En fait, c'est très simple à comprendre, même pour un idiot comme toi. On te propose un deal, tu acceptes, tu quittes Saint Petersburg libre, tu refuses, tu ne quittes pas ce bar vivant. Compris couille de moineau?

Je marque une légère pause et enchaine.

- J'ai bien dit que tu quittais Saint Petersburg, il est hors de question que tu restes ici si tu acceptes. Lev, je te laisse expliquer en quoi consiste le deal.

Je sors mon meilleur ami de ma poche, pour insister sur le sérieux de l'affaire : un couteau à la lame large et tranchante des deux côtés. Je le pose devant moi, et attaque:

-Comme je viens de le dire, tout devrait bien se terminer, si tout le monde fait ce qu'il a à faire sans essayer de couillonner les autres. L'affaire est simple : on veut le théâtre. Alors on va te proposer une somme coquette, que tu ferais bien d'accepter sans poser de question. Après, je t'accompagnerai au théâtre et tu feras tes valises. Tu auras 20 minutes. Et ensuite, on t'accompagnera en dehors de la ville. Si on te revoit dans la ville demain, après demain, ou dans dix ans, on considère que tu as fait le con. Et ton cadavre ira engraisser les cochons.

Je lui tends une enveloppe avec l'argent et affirme, plus que je ne le demande:

-Marché conclu.

J'entre dans le bar, quand j'entends une voix qui ne m'est pas inconnue : celle du directeur du théâtre. Un petit chauve immonde qui ne trompe jamais sa femme, même avec une prostituée. Ce qui est étonnant n'est pas tellement qu'il soit là, c'est qu'on l'entende. Et qu'on n'entende que sa voix... Avant d'entrer vraiment dans la pièce, je jette un oeil : il n'y a que lui, Denis, et Lev, un ami de Denis. Je recule doucement et referme la porte : ça m'a tout l'air d'une soirée privée, et je doute qu'ils aient besoin de prostituées pour l'animer...

- J'accepte, j'accepte, mais surtout ne me faites rien, je ne veux pas avoir de problème, je ferai tout ce que vous voudrez.
- Parfait, ce sera 500 roubles pour chacun de nous, soit 1000 roubles pour toi, de toutes facons, tu n'as pas le choix.
- 1000 roubles, m... m... m... mais v... v... vous vous moquez de moi. Il en vaut au moins 5000.
- Jamais quand il s'agit d'affaire espèce de larve. 1000 et pas un de plus.

Je sors 500 roubles et Lev aussi. Nous avions convenu ce tarif dans la matinée et c'était le premier et dernier prix proposé.

- Maintenant tu prends l'argent ou le couteau, tu choisis.

Sans dire un mot, l'ex gérant du théâtre prend l'argent et se lève pour partir.

- Et bien adieu l'ami, ce fut un plaisir de commercer avec toi. N'oublie pas, demain matin quand je passe sur le marché, je veux que tu sois parti. Bon voyage.

J'ouvre la porte et le laisse sortir. Le bar réouvre. Bientôt il sera à nouveau plein. C'est la magie du rat d'égout.

Une fois l'affaire règlée, je salue Denis et sors discrètement : il ne faudrait pas qu'on nous voie ensemble. En tous cas, pour ce soir...

J'attends quelques minutes, à peine un quart d'heure derrière la porte, et le bruit revient. Le conciliabule doit être terminé. J'entre à nouveau dans la pièce et me dirige vers le bar, où se trouve Denis, bien entendu. Je ne lui parle pas de son entrevue : les affaires de Denis sont les affaires de Denis. Mieux vaut ne pas s'en mêler : moins on en sait, mieux on se porte.

*Je rentre dans le bar, épuisé. J'ai hésité à venir ce soir, ma journée a été longue et difficile. Mais j'avais envie de voir Solweig. Je ne suis pas un gros buveur en temps normal, mais ce soir, ce n'est même pas la peine d'envisager une seule goutte d'alcool, sans quoi je vais rouler sur le tapis. J'ai soif pourtant. Mais ce n'est pas le genre d'endroit où l'on sert du thé alors j'attendrai avant de me rfraîchir le fond du gosier.*

- Hey, bonsoir Denis! Salut Solweig! Tu es libre ce soir?

*J'espère que oui, sinon, je rentre me vautrer dans mon lit. Des fois, je me dis que Solweig devrait y être, dans mon lit... Enfin, une prostituée, ce n'est pas une femme, n'est-ce pas?*

Je souris en voyant entrer Stepan: celui-là, il est pour moi. Et les autres filles le savent. Elles disent que j'ai de la chance, et elles ont raison!

-Salut, beau brun. Je suis libre pour le moment. Tu veux un verre?

Je lui tends un verre vide, sachant qu'il se remplira aussi vite que Stepan le demandera. Même si Stepan se contente généralement d'une ou deux vodkas. Je crois qu'à part des petits garçons de dix ans, je n'ai jamais vu un homme boire si peu. Certains s'enfilent les bouteilles de vodka comme du petit lait et marchent encore droit à la fin de la soirée. C'est le miracle de la constitution russe.

On est le soir, on a fini le travail à l'écurie pour aujourd'hui, Stas et moi alors il est tout à fait normal de venir au rat d'égouts pour passer la soirée. Comme tous les soirs ou presque. J'aime ce lieu ou l'alcool coule à flot. A peine rentré, je remarque qu'il y a relativement peu de monde. Cela arrive parfois quand il se passe quelque chose d'important. Il a donc du se passer quelque chose. Je m'assois au bar et Denis m'apporte une bouteille avec un verre.

- Dis Denis, il s'est passé quoi ce soir?

J'ouvre la bouteille et me sers un verre. Je suis un tellement bon client que je n'ai même pas besoin de commander.

Stepan est le premier à rentrer dans le bar depuis sa réouverture. Je le salue comme il se doit avant qu'il ne se retourne vers Solweig. Je les laisse tranquille, eux deux c'est une affaire qui marche pour tout le monde alors je les laisse faire et vaque à mes occupations. Le bar se rempli peu à peu et les commandes affluent. J'aime cette ambiance mais le bar est loin d'être plein encore.

Dimitri rentre, un de mes meilleurs clients avec son ami, Stas. Ces deux là, on peut dire qu'ils ont de la bouteille, au sens propre du terme.

- Ca te dit de venir au théâtre demain soir Dimitri ? On pourra en parler tranquillement.

Je sais que Dimitri ne va pas tous les jours au théâtre mais c'est l'endroit parfait pour parler de cette chose qui s'est passée ce soir. Il acquiesce. De toutes facons, s'il veut savoir, il sait qu'il ne saura pas ce soir mais demain au théâtre.

-Salut Denis.

Je m'installe à côté de Dimitri et partage sa bouteille.

-C'est clair que c'est un peu désert ce soir. On se croirait dans une église. Mais je ne vois pas le prêtre...

Je souris et lève mon verre:

-Aux bonnes affaires!

En général, quand Denis ferme, c'est pour traiter de bonnes affaires.

-La journée s'est passée comme tu voulais?

- Ah, non, pas d'alcool ce soir. Je ne suis pas en état. Enfin, sauf si tu ne veux pas de moi dans tes draps ce soir!

*Je souris, parce que jusque là, Solweig ne m'a jamais chassé. De toute façon, si c'était le cas, je n'aurais plus qu'à rentrer chez moi, je ne veux pas coucher avec quelqu'un d'autre. C'est drôle de se dire que je suis fidèle à une prostituée. Ni femme, ni autre maîtresse, même parmi des prostituées... Je dois paraître bizarre. Je sais aussi que le fait de ne pas boire me fait passer pour un original!*

- On monte? Denis, c'est ok?

-T'occupe pas des draps, on n'aura pas trop le temps de se mettre dessous!

J'attends tout de même la réponse de Denis avant d'entraîner Stepan là haut. Même si je connais déjà sa réponse. Les soirs où il ne vient pas, j'ai moins d'entrain. C'est bizarre, non, pour une prostituée d'attendre son client avec impatience? Enfin, ce client-là... C'est de loin le plus sympa! Et puis il y a quelque chose de très différent chez lui. Un secret.

*Je souris, enchanté par le programme promis. En général, je sais qu'une "passe" dure environ une demie heure. Quand je viens, je reste une bonne partie de la soirée, j'ai horreur de faire ça entre deux portes. J'aime prendre mon temps, déjà pour discuter et puis pour le reste aussi. Je la suis à l'étage et nous nous installons tranquillement dans la chambre.*

- J'ai eu une grosse commande aujourd'hui! Tu ne devineras jamais! Le tsar m'a demandé de m'occuper de toute la pâtisserie pour le mariage de son frère! Enfin, pas le Tsar lui même, c'est Elena, sa soeur, qui m'a fait venir. J'ai passé la journée à élaborer un menu... Et c'est loin d'être fini! Et toi, bonne journée?

*ça peut paraître étrange de demander à une prostituée comment s'est passée sa journée... Mais le fait est que sa réponse m'intéresse vraiment.*

-Tu as eu la visite de la soeur du tsar? Tu vas faire quoi, comme gâteaux? J'imagine qu'ils ne se contenteront pas d'une simple vatrouchka... Il leur faudra des gâteaux bien plus raffinés. Mais félicitations, ça veut dire que tu es le meilleur pâtissier de tout St Pétersbourg!

Curieuse, je demande:

-Elle est comment, la soeur du tsar?

Je ne sais pas ce que j'attends, comme réponse : elle ne doit pas être différente des autres. Je doute qu'elle ait des ailes dans le dos et et des chveux en diamant... C'est un peu stupide comme question.

-Ma journée a été bien moins exceptionnelle : je me suis levée assez tard, j'ai fait un tour dans St Pétersbourg et je suis rentrée dans l'après-midi pour être prête à l'ouverture. Tu vois, rien de bien intéressant!