Une robe pour la comtesse

Il est tôt mais un bon feu brûle dans la cheminée et les chandelles du lustre me donnent assez de lumière pour continuer. La comtesse Von Bergsam veut une nouvelle robe exceptionnelle pour un bal à la Cour dans... 1 semaine! C'est du délire mais en travaillant dix heures par jour, la robe sera prête à temps. J'attaque les broderies des manches, penchée sur la fenêtre pour capter le maximum de lumière.

N'ayant pas un sommeil très long, je me lève tôt ce matin. De plus, à la boutique, il y a pas mal de travail. Je vais donc directement à la boutique et tombe sur ma soeur.

- Lilly? Tu es bien matinale, il fait encore nuit.

Je marque une pause et demande :

- Je vais au marché aujourd'hui, tu as besoin de quelque chose?

Non pas que le marché était loin puisque notre boutique donnait directement sur le marché, mais je sais à quel point il est désagréable de manquer de quelque chose quand on travaille, alors, si je pouvais lui éviter cela, ce serait parfait.

Je lève la tête en entendant mon frère. Il est matinal, lui aussi. Dans la rue, seule notre boutique est éclairée, tout le reste est encore bercé par le sommeil. Mais il ne faut pas se fier à ce calme matinal : dans une heure, peut-être deux, la ville sera en ébullition, jusqu'au soir.

-Non, je te remercie, j'ai tout ce qu'il me faut. Je pense que la robe sera terminée ce soir. Il faudra demander à la comtesse de repasser au plus vite pour les retouches. Et pour voir aussi si la robe lui plait. Je sais qu'elle aime quand c'est très chargé.

Soudain je réfléchis et dis, avant que Craig ne sorte:

-Si tiens, finalement, si la boulangerie est ouverte, ramèbe-moi un de leurs pains plats. Ca m'évitera de perdre du temps à manger. Tu vas chez Denis?

- Denis? A cette heure de la matinée? Il fera son marché probablement. Donc je le croiserai probablement mais je n'irai pas au rat d'égout. Non, je vais prendre mon petit déjeuner à la taverne. D'ailleurs, l'autre fois, j'y ai vu Gavin. Tu te souviens de lui?

Probablement qu'elle se souviendrait de ce Duc déchu le jour où par "accident" il avait tué le gérant d'un bar londonien. Il avait bien sur été acquitté, mais son père lui avait promis que ce serait la dernière fois qu'il le sortirai d'affaire et que désormais, il était livré à lui même, sans famille. Son arrivée ici veut probablement dire qu'il a à nouveau dérapé d'ailleurs.

-Oui je me souviens. C'est ce noble qui a tué un aubergiste, c'est ça? Pourquoi est-ce que tu me parles de lui?

Aux dernières nouvelles, ce duc est un anglais qui vit, eh bien en Angleterre, loin, très loin d'ici. Et je suis bien placée pour le savoir. Il y a un monde entre notre douce Angleterre et la pétillante St Pétersbourg... Et des semaines de voyage.

- Lui-même. Et bien il est arrivé ici à Saint Petersburg. Je l'ai moi même vu hier soir.

Je ne sais pas pourquoi il est venu ici. Mais il n'a probablement pas quitté l'Angleterre de sa propre initiative. Il a du être obligé. Ou se mettre dans une situation qui ne lui a pas laissé le choix.

Pour le coup, je pose mon ouvrage:

-A St Petersbourg! Tu es sûr? C'est assez incroyable! Pourquoi est-il ici? Je croyais que sa famille n'était pas proche de la famille royale de Russie?

C'est un mystère et surtout un grand étonnement. Le voyage jusqu'en Russie n'est pas aisé, et je crains que quelque chose n'ait contraint notre compatriote à un départ précipité.

-Tu lui as parlé?

- Sa famille n'est pas proche en effet. Mais il n'est plus Duc de Manchester depuis le meurtre de l'aubergiste justement. Son père l'a renié ce jour là. Aujourd'hui c'est Gavin Crawford et il est ici dans la plus totale indifférence.

Et il y arrive plutôt bien. C'est lui qui m'a reconnu et non moi.

- Je lui ai parlé l'histoire de quelques secondes. Mais le connaissant, il a fait l'erreur de trop. Et sans famille derrière, il a du fuir précipitamment l'Angleterre.

Je suis interloquée:

-Mais pourquoi venir jusqu'en Russie? C'est bien loin... Pourquoi ne pas s'arrêter en France, en Prusse ou en Autriche? Il y a des dizaines de pays plus proches et plus hospitaliers. Pourquoi voyager jusqu'à St Pétersbourg? Et dans des conditions atroces j'imagine!

- Son père ne peut pas venir le chercher ici. Il est indésirable ici, en Russie. Et bien qu'il l'ait renié, j'ai toujours noté qu'il essayait de garder une influence sur lui. Ici, il ne peut plus rien contre lui. Ceci dit, c'était avant que nous ne partions pour la Russie, ca fait quelques années déjà. Il a pu s'en passer des choses depuis.

Je hoche la tête:

-Oui, je comprends mieux... Je vais lui rendre visite. Tu sais où il habite? Il a un endroit pour vivre au moins? Et un travail? Qu'en penses-tu, de l'inviter à rester à la maison s'il a du mal à s'en sortir, au début? Après tout, la Russie est un pays compliqué et quand on n'en maitrise pas les codes, c'est très délicat...

- Il a trouvé une maison dans les quartiers populaires. Il parait que c'est celle qui est pleine de courant d'air. Il parait que c'est là.

Je fais une grimace en y pensant. Cette maison, depuis que nous sommes ici, n'a jamais été habité et on a toujours compris pourquoi.

- Oui, fais comme tu le sens. Qu'il vienne s'il le veut. Il faudra juste espérer qu'il ne fasse pas ici ce qu'il faisait là-bas histoire que ca ne rejaillisse pas sur nous aussi. Mais oui, c'est un ami, donc s'il veut, c'est possible.

Je souris : mon frère a bon coeur, surtout lorsqu'il s'agit de compatriotes:

-J'y vais de ce pas alors, la broderie attendra! J'essaye de le ramener, parce que s'il vit dans la bicoque à laquelle je pense, il ne pourra pas y rester bien longtemps! Elle s'effondrera sur lui avant peu!

Et je fonce dehors, dans le froid matinal de ce début de printemps.

hj:on clot le topic?

Je profite du départ de Lilly pour moi aussi partir faire les quelques courses dont j'ai besoin. Dès la sortie de la boutique, nos chemin se séparent. Elle prend la direction des quartiers populaires et moi je me rends sur le marché.